Roupen Sevag

Récemment notre Église de Lyon a proposé aux paroissiens de donner un témoignage, une fois par mois. Je veux évoquer aujourd’hui le combat mené par un héros de la foi arménien il y a 105 ans. C’est ainsi que cette année nous aurons commémoré nos martyrs, faute de pouvoir organiser une cérémonie interecclésiastique arménienne, comme c’était le cas jusqu’à présent sans aucune exception.

C’est un fait connu que dans la nuit du 24 avril 1915 eut lieu la rafle de 300 intellectuels arméniens à Constantinople, qui ont été déportés quelques jours après à Tchanghere et Ayache. Le poète Roupen Sévag, de son vrai nom Roupen Tchilinguirian, ne se trouvait pas parmi eux, car il servait comme médecin dans l’armée ottomane. Mais il a rejoint ses camarades au bout de quelques semaines, au mois de juin.

Les médecins qui se trouvaient parmi les déportés exerçaient leur art parmi la population de ce village où ne vivait aucun médecin. Le docteur Sévag était particulièrement prisé, parce qu’il avait sauvé le sous-préfet victime d’un empoisonnement.

Un jour il a déclaré à un prêtre emprisonné comme lui :
— J’ai une proposition. J’ai appris que du côté de Galatie certains Arméniens se sont islamisés. Je ne veux pas qu’un de nos camarades soit sujet à l’avenir à un fléchissement sous des pressions probables. C’est pourquoi je te conseille d’appeler en tant qu’ecclésiastique tous les déportés et leur demander de prêter serment de fidélité à la foi chrétienne.
Lorsqu’un télégramme arriva de Constantinople pour annoncer la libération de certains des détenus parmi lesquels se trouvait le prêtre, il lui demanda de lui fournir une Bible avant son départ. Celui-ci donna son unique exemplaire, et Sévag lui promit de lire d’un bout à l’autre la Parole de Dieu.

Un jour, ayant appris que ceux qui adoptaient l’islam étaient libérés, pendant 2 jours entiers il a essayé de persuader les âmes faibles que la mort était meilleure que l’abjuration, et il a fait prêter serment un à un à ceux dont il soupçonnait la faiblesse spirituelle pour qu’ils restent fidèles à leur foi.

Le chef de la bande des brigands («tchétés ») de Tchanghere, le cocher Ismaïl, avait une fille malade dont les jours étaient comptés. Sévag l’a soignée et elle a été guérie. Pour témoigner sa gratitude, le père lui a proposé d’adopter l’islam et d’épouser sa fille qui s’était entretemps amouraché de Sévag, en affirmant que sans tarder un ordre allait venir de Constantinople pour tuer tous les déportés. Sévag a résisté pendant 2 heures en disant qu’il n’abjurerait pas sa foi, d’autant plus qu’il était marié et père de 2 enfants.

Ses camarades de déportation lui conseillèrent d’adopter provisoirement l’islam, en arguant que sa mort ne profiterait ni à sa nation, ni à sa famille. Très en colère, Sévag leur répliqua :
— Je ne peux pas me convaincre de renier ma nation et ma famille pour avoir la vie sauve, par peur de la mort. Ou bien je dois noircir mon âme comme mon nom d’auteur (qui signifie « aux yeux noirs »), ou bien je vais mourir. J’ai résolu de mourir, mais jamais noircir mon âme.

Le 26 août 1915, avec le poète Daniel Varoujan et 3 autres déportés il a été placé, les mains liées, dans un chariot pour être mené à Ayache. Chemin faisant, selon une conspiration organisée, les tchétés d’Ismaïl les ont attaqués, déshabillés, dépouillés et tués en leur infligeant des tortures indescriptibles.

Lors de la commémoration du 24 Avril 1915, quand nous lisons les noms des héros de la foi dans l’Épître aux Hébreux, nous pouvons nous souvenir de l’exemple édifiant de Roupen Sévag, afin que nous soyons comme eux et comme notre compatriote « fidèles jusqu’à la mort » pour obtenir « la couronne de vie », citée dans le livre de l’Apocalypse (2 :10).

Ari Topouzkhanian
26/4/2020